Changer de culture
4 avril 2021

Descendre de la roue du hamster et changer de culture

Marine Simon Facilitatrice en Intelligence Collective et Gouvernance participative

Marine Simon

* illustration Jérémy Van Houtte in Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer, éd.Yves Michel

Changer "de" monde

Changer « le » monde peut nous paraître inatteignable. Mais changer « de » monde est à notre portée à toutes et tous !

Dans cette rubrique, je vous propose des changements de regard et des pratiques concrètes simples et pourtant hautement transformatrices de notre culture et proposant de retisser nos liens avec nous-mêmes, les autres humain.e.s et les autres qu’humains. 

Descendre de la roue du hamster et changer de culture

Dans les temps tourmentés que nous traversons, planétairement (et non plus seulement nationalement ou continentalement), nous entendons accuser de tous les maux tous les « ismes », matérialisme, capitalisme, libéralisme, consumérisme, … Toutes ces idées devenues lois que nous avons encensées en d’autres temps, en lesquelles nous avons cru comme « meilleure manière » de vivre sur cette planète en tant qu’humains.

D’autres « idéologismes », dans le même temps, naissent et sont valorisés ou combattus : activisme, antilibéralisme, alarmisme, …

Mais que sont tous ces « ismes » sinon les fruits de cette construction imaginaire que nous nommons « notre culture » ? Si nous les éradiquions tous, que resterait-il ? N’en pousseraient-ils pas d’autres, tout autant déconnectés de ce qui fait que le Vivant est vivant et que nous le sommes aussi ?

Dans mon ouvrage Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer – Inspirés du Vivant, des Peuples Racines et de la Permaculture, changeons de culture (éd.Yves Michel, mars 2021), je propose, avec d’autres, que nous nous interrogions sur ce que sont les racines de cette culture ? De ce décor de rites, croyances, mythes, assortis de lois dans lequel nous avons choisi de vivre.

Quels sont ses effets sur la vie ? Peu importe l’étoffe culturelle dans laquelle nous vivons, celle-ci soutient-elle la vie, ou sème-t-elle la mort ? La paix ou la guerre ? La coopération, l’assistance, la valorisation de chaque être humain et de l’ensemble des êtres vivants ? Ou crée-t-elle davantage d’exclus chaque jour ? Davantage de réfugiés, de morts de faim, de froid, de faits de guerre, de chagrin ? Davantage d’extinctions et autres décimations … ?

Nous vivons dans une paix relative, en Occident, mais notre culture n’est-elle pas, en fait, d’une extrême violence ?

Et qu’est-ce que la culture ?

L’UNESCO dit de la culture qu’elle peut être considérée comme « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances »

Comme le dit Noah Yuval Harari dans son ouvrage Sapiens, une brève histoire de l’humanité (éd. Albin Michel, 2011), elle est l’ensemble de ces histoires que nous nous sommes racontées au fil du temps et dans lesquelles, par une aptitude cognitive spécifique à Homo, nous sommes capables de vivre. Une ou des bulles conceptuelles que nous assortissons de règles, de lois, de croyances, des tabous, de solutions retenues en un temps T et qui perdurent au travers des siècles sans que plus personne ne se souviennent pourquoi, … mais que nous prenons pour une vérité. La vérité, la nôtre, différente et ségrégante par rapport à celle des autres qui ne saurait en être vraiment une. Eux vivent dans une illusion. Nous, non.

Il en va ainsi des religions, des idéologies de tout bord, économiques, sociales, philosophiques, de l’objectivité dont se réclame la science, des fondements de nos médecines, de nos modes de production, de la manière d’envisager la vie, la mort, …

Tous ces modèles ne sont que des histoires racontées auxquelles nous avons cru et continuons à croire, qui récompensent, excluent, exploitent, s’arrogent des droits, … à la surface de la planète qui ne doit rien y comprendre.

Par chez nous, la trame de cette culture est faite des fils de l’avidité, du toujours plus de matière extraite, exploitée, possédée. En même temps que d’un rejet de la matière à la faveur de l’esprit, de l’intellect. Une véritable schizophrénie ! L’accaparement y est la règle. La supériorité de l’espèce humaine sur l’ensemble du Vivant en constitue le motif fondamental avec, au sein même de cette espèce, un système de castes par couleurs, orientations sociales, culturelles, sexuelles, … Le masculin l’emportant, entre autres, sur le féminin. Le progrès y est intimement lié à la technologie et à la vitesse. Le progrès de la conscience de soi, l’exercice d’intériorité, la sensibilité, l’expérience spirituelle, le lien avec l’intangible, l’énergie, y sont dévalorisés, dénigrés.

Bon, bon. Tout cela est une question de choix dont on pourrait débattre à l’infini.

Il n’empêche qu’un des effets les plus délétères de cette culture est qu’en tant qu’espèce, nous nous payons tout ce que nous pouvons nous payer, énergétiquement, en termes d’extraction et de gaspillage de ressources, de production, de transport, …

 

Mais quand nous demandons-nous si la Terre peut, elle, se le payer ? Quand nous questionnons-nous individuellement et collectivement à propos de ce qu’elle peut produire pour nourrir, abriter, soigner … l’ensemble des êtres vivants, dans le rythme qui est le sien ? A propos de la vitesse avec laquelle elle peut absorber nos rejets ?

Je revisionnais, dernièrement, le film Avatar de James Cameron, qui caricature à merveille ces biais de notre culture, rendant totalement intriqués les enjeux de la science qui cherche à comprendre, ceux de l’économie qui cherche à s’emparer de ce qui a été découvert et de la force militaire qui s’arroge la légitimité de cet accaparement, « coûte que coûte ».

Et puis, il y a Jake Sully ce Marine trop heureux de retrouver l’usage de jambes par le biais de celles de son avatar alors qu’il a perdu l’usage des siennes en tant qu’humain. Et cette planète, Pandora, où tout vit en interconnexion subtile (comme sur la Terre …) y compris les Na’vis, nos cousins de là-bas.

Jake Sully passe sa première nuit sur Pandora. Pour se protéger des multiples menaces qui le guettent, il s’est confectionné une torche géante et cherche à en découdre avec toute manifestation physique qui l’approche, des « fauves » qui cherchent à le déchiqueter aux « graines de l’arbre sacré » qui lui effleurent le bras. Le contrôle et la défensive sont les cadeaux de sa culture. Neytiri, la fille du chef de la tribu des Omaticaya, le sortira de ce mauvais pas (culturel), en noyant sa torche puisque l’ensemble de la végétation est luminescente et en honorant l’âme de l’animal qu’elle a abattu d’une de ses flèches pour sauver Jake Sully. Dans sa culture connectée, à elle, il s’agit davantage de sentir, comprendre et entrer en relation, apprivoiser que de contrôler et se défendre. A plusieurs reprises, elle dira à Jake Sully qu’il est « comme un enfant » et on comprend aisément qu’elle fait référence au fait qu’il ne « voit » pas les interconnexions et que sa culture analytique, séparative, l’empêche de comprendre le Tout et comment ce Tout nous informe et répond à nos interactions. Que cela l’amène à sur-réagir constamment.

La culture Omaticaya a été inspirée de celles des Peuples Racines terriens déjà évoqués dans un précédant article, Embrasser la complexité du Vivant, et que j’évoque largement dans mon livre. 

Une culture de la connexion, celle du Vivant

Comme le dit Éric Julien, anciennement géographe, accompagnateur aujourd’hui d’organisations sur base des lois du Vivant et de l’enseignement qu’il a reçu ces 20 dernières années auprès des indiens Kogis, en Colombie : «  Dans nos sociétés modernes, nous sommes régis par des lois, des principes que l’homme invente au gré de son imaginaire social … Ce sont des lois créées par les hommes pour les hommes… Les lois qui régissent des sociétés comme celle des Kogis sont issues de la vie et du vivant. Elles ne sont pas créées par l’homme, juste « conscientisées ». Ces lois, c’est ce qui fait que ton corps vit, grâce au système des organes, au système nerveux, etc … et elles sont fondées sur le don : il n’y a pas de compteur qui mesure les influx nerveux, ni sur les plantes qui poussent. Ces lois de la vie, qui font que tel animal est chassé par tel prédateur, qu’une plante a besoin de soleil, de terre et d’eau pour pousser, pour les Kogis, elles trouvent leur source dans le monde de Sé. Avant d’exister sous une forme matérielle, tout, les arbres, les montagnes, les plantes, l’air, les hommes, etc., a d’abord existé sous une forme spirituelle. En s’incarnant dans la matière, chacune de ces formes spirituelles a reçu une fonction, une forme, une place, un objectif, et toutes sont des entités reliées entre elles, créatrices d’énergie. Ces lois constituent pour les Kogis, la « loi des origines » … Ce qui est déroutant chez eux, c’est qu’ils les vivent, ils s’en sentent partie prenante. Nous, nous allons étudier le vivant, le copier parfois, comme on le fait avec le biomimétisme. Mais nous ne nous intégrons pas dedans. Ce qui donne ce paradoxe surprenant de l’écologie aujourd’hui : elle défend le vivant, mais en oubliant de s’intéresser à une part essentielle de ce vivant, celle qui est en soi ! Une part ignorée qui reste en souffrance, et qui crée des tensions, des attitudes arrogantes ou agressives, des tristesses, des frustrations, bref, de la dysharmonie. » – Extrait de l’ouvrage de Frederika Van Ingen, Sagesses d’ailleurs pour vivre aujourd’hui, Éditions des Arènes, 2016

Une culture comme un enseignement déduit de l’observation fine du Vivant, plutôt que comme la somme de débats intellectuels excluant tout ce qui ne nous ressemble pas.

Les Peuples Racines, aujourd’hui vivent dans des contrées où la biodiversité est la plus riche parce que leur culture les initie à en prendre soin. Comme dans Avatar, cela leur vaut de sérieux ennuis avec l’avidité de la nôtre.

Qu’attendons-nous pour nous offrir, à nous aussi, et à tout le reste de la Terre, une culture qui soutiendrait la vie en nous inspirant de leur sagesse ?  

La Permaculture, formidable mode d’emploi du Vivant pour notre temps, peut être d’une aide évidente, de ce point de vue. Je vous en dirai davantage dans mon prochain article.

Tout tourne rond sur cette Terre, et s’associe. Tout, sauf notre culture cloisonnée, linéaire et compétitive. Changeons-la !

Marine Simon, le 31 mars 2021

Pour aller plus loin

A voir

 

A lire :

  • Frederika Van Ingen, Sagesses d’ailleurs pour vivre aujourd’hui, Éditions des Arènes, 2016
  • Lionel Astruc, Vandana Shiva, Pour une désobéissance créatrice, L’épopée d’une icône mondiale de l’écologie, Actes Sud, Domaine du possible/Colibris, 2014
  • Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle, Une autre fin du monde est possible, Seuil Anthropocène, 2018

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