La Permaculture, une autre manière d’être humains sur cette Terre
Marine Simon
* Fleur de la Permaculture illustrée par Jérémy Van Houtte
Dans les années 60, Bill Mollison, tasmanien, scientifique chargé du recensement des animaux sauvages, vit simplement au milieu de la Nature. Il cultive, pêche et chasse pour les besoins réduits de sa famille. Constatant la dégradation de plus en plus rapide de la Nature tout autour de lui, il se met à en rechercher les causes et conclut que ce sont nos modes de production et de consommation polluants, extractifs, avides, … qui en sont l’origine.
Très affecté par cette situation, il décide non pas de suivre la voix de sa colère mais de rechercher une alternative « positivante », un autre regard sur notre existence de terriens. Il s’inspire pour cela du modèle millénaire du Vivant et de son immense intelligence par le biais, entre autres, de l’observation de l’écosystème de la forêt qui se débrouille très bien tout seul pour se pérenniser. Il enrichit ses recherches des sagesses ancestrales des Peuples Racines qui, de par le monde, ont gardé la connaissance des principes du Vivant et en ont déduit leurs principes de vie.
C’est ainsi que naît la Permaculture qui est, au départ, « une méthode pour concevoir des paysages élaborés en toute conscience qui imitent les schémas et les relations observés dans la nature et fournissent nourriture, fibres et énergie pour subvenir aux besoins locaux. »
Il est ensuite rejoint par un de ses étudiants, David Holmgren, avec qui il poursuit ses recherches, expérimentations et transmissions.
En raison de ses origines inspirées de la Nature, cette méthode s’adresse plus particulièrement, à ses débuts, aux pratiques liées à la production de nourriture, en maraîchage, élevage … et c’est dans ce champ particulier que l’on trouve aujourd’hui le plus d’exemples d’application. Au point que nombreuses sont les personnes qui pensent encore aujourd’hui qu’il ne s’agit là que d’une méthode maraîchère.
Avec les années, Mollison et Holmgren conscientisent que les humains qui cultivent un sol pour se nourrir, de manière respectueuse, ont également besoin de se déplacer, de se loger, de fabriquer des outils, de s’organiser … et ils en déduisent que ces champs potentiellement impactant eux aussi sur l’environnement, peuvent également faire l’objet de l’application des principes permaculturels.
La Permaculture devient ainsi une véritable philosophie de vie inspirée du Vivant visant à développer une culture pérenne pour notre espèce, au milieu et avec toutes les autres.
Une éthique en 3 principes
Le fondement de la Permaculture est de prendre soin. Prendre soin a priori, sans qu’il y ait dégât, juste parce que, comme je le propose dans mon livre « Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer », il semble que ce soit la recette de pérennisation retenue par le Vivant : prendre soin, prendre soin, prendre soin pour obtenir des résultats qui prennent soin. Prendre soin d’abord parce, comme partagé dans les articles précédents, le Vivant est limité aux quelques kilomètres en hauteur et en profondeur à l’intérieur desquels la vie est possible et où elle s’auto-entretient à chaque instant.
Prendre soin parce que le Vivant s’est conçu comme une immense toile d’interrelations entre tous ses composants, des bactéries aux minéraux, en passant par les végétaux, les animaux. Parce que la vie ne peut être que grâce à cette diversité et aux entrelacs de cycles et d’associations qui l’animent.
Un postulat à l’inverse de celui de notre culture qui cherche à obtenir des résultats coûte que coûte et relègue le prendre soin à tenter de réparer les dégâts. Dégâts de nos excès en tous genres, de nos négligences, ignorances, aveuglements, orgueils. Un prendre soin de réparation, a posteriori, délégué à des hommes et des femmes (surtout !) dont les rôles sont peu valorisés.
La Permaculture propose donc comme éthique :
- Prendre soin de la Terre, et de l’ensemble des êtres qui la peuple, de l’ensemble de ses flux, cycles (eau, carbone, azote, …), de ses rythmes. Prendre soin de la terre aussi, celle grouillante de microbiologie qui constitue l’espace de fertilité de la planète et alimente une grande partie des espèces dont nous.
- Prendre soin des humains, de leurs besoins physiques, évidemment, mais aussi de leurs émotions, de leur psyché, de leur conscience car, pour Mollison et Holmgren, plus les humains seront conscients et mieux ils prendront soin de la Terre.
- Fixer des limites à la consommation et à la démographie. Parce que dans un monde « confiné »1, aux ressources limitées, nécessitant du temps pour les renouveler, la croissance infinie en accéléré n’a pas d’avenir. Et redistribuer les surplus. Bien sûr les surplus alimentaires mais aussi et surtout de connaissances, de temps, d’entraide pour faire pousser l’autonomie.
Deux sauts de paradigme majeurs
Passer d’une culture prédatrice à une culture qui soutiendrait la vie entraine un nombre important de changements de paradigmes dont certains abordés déjà dans d’autres articles.
La mise en œuvre de la Permaculture me semble en proposer au moins deux, majeurs :
1. Le sol comme objet de soin prioritaire : si l’agriculture dite « conventionnelle » prévoit une batterie toujours plus importante d’intrants chimiques censés protéger les plantes des maladies et autres ravageurs tout en tuant, en réduisant à néant l’ensemble de la microbiologie des sols (vers, champignons, bactéries), c’est qu’elle repose sur le postulat que la terre est un substrat inerte et sans intelligence dépendant totalement de l’intervention humaine pour produire. Si le sol n’est rien, il n’y a donc rien à tuer.
En Permaculture, au contraire, fort de l’observation de ce qui se passe sous les pierres, sous les feuilles mortes, dans les premiers centimètres de terre, de tout ce petit monde qui se débrouille pour fabriquer l’humus, substrat parfaitement adapté à la croissance des végétaux, on va se concentrer sur la nourriture de ce sol intelligent et grouillant de vie. On va chercher à le nourrir non pas d’intrants chimiques qu’il ne peut digérer mais de ce dont il raffole : feuilles, compost, broyat, déjections animales, … Et on va laisser tout ce petit peuple fournir aux plantes tout ce dont elles ont besoin pour pousser, s’associer, se protéger. Ça c’est pour le sol qui nourrit nos corps.
Force est de constater que cette culture de dénigrement du potentiel et de la sensibilité des sols a gagné toutes les sphères de nos existences. La préférence pour l’esprit, les aptitudes mentales et la rationalité a laissé des traces dans toutes nos sphères de fertilité :
- Celle de notre psyché, de notre monde intérieur. Combien, parmi nous, peuvent se réjouir du soin qui a été apporté à leur sol psychique, enfant ? Combien prennent le temps, adultes, d’en prendre soin ? De le nourrir de ce qu’il aime composter : l’amour, l’estime, le soutien, la joie, le respect, la confiance, les relations fécondes, les aspirations menées à leur réalisation, … ?
- Celle de la terre intérieure neuve des enfants. Quel traitement y réservent nos cursus éducatifs ? Mise en lumière des talents et intelligences spécifiques de chacun et chacune, soutien dans le processus d’apprentissage à l’aide des préférences personnelles, valorisation des différences, … ou normalisation, apprentissage par l’accumulation de savoirs et pratiques de contrôle, abandons de ceux et celles qui ne suivent pas ?
- Celle de nos collectifs, de la trame interrelationnelle entre les membres d’une équipe ou d’une organisation. Prend-on le temps d’en prendre soin, de faire connaissance, de tisser des relations de confiance, de faire émerger l’intention qui nous réunit, de co-élaborer la manière dont nous préfèrerions nous organiser pour favoriser, à la fois, la réussite de notre entreprise et le plaisir à y contribuer ? Prévoit-on des temps et des processus de régulation des tensions pour en faire de belles occasions d’apprendre ensemble, de rebondir ? Nos modes de gouvernance par hiérarchie de pouvoir ou hiérarchie des égos, nos courses à la productivité, à la rentabilité ne laissent pas beaucoup de place à cela et laissent nombre de victimes quotidiennes sur le bord de leurs chemins.
- Il en va ainsi de tous les autres : notre « terrain » physico-énergétique pris en compte dans les médecines alternatives, ignoré dans la médecine conventionnelle ; l’espace de nos relations de couple, amicales, parents-enfants, … ; le territoire dans les sphères de l’économie et du politique. Ces deux domaines d’activité et de gouvernance sont-ils orientés vers le soin au territoire et à ses habitants humains et non-humains, ou servent-ils plutôt les intérêts de quelques-uns ?
Considérer le sol, l’observer, l’écouter, prendre en compte ce qui y pousse, vit, s’exprime et tisser des relations fécondes à partir de ce soin comme le propose la Permaculture, constitue donc un véritable retournement pour notre culture.
2. Sortir de notre culture de la pensée unique, des modèles conventionnels et standardisés pour toutes les situations, et redevenir créateur à partir de principes fondamentaux.
Notre culture occidentale est percluse de cette croyance qu’il est nécessaire de trouver des solutions standards qui règleraient une fois pour toutes les problématiques : un seul mode de culture pour tous les terroirs, comme l’est l’agriculture conventionnelle ; un seul modèle de gouvernance, par la hiérarchie de pouvoirs ; une seule médecine digne de confiance, l’allopathie ; un seul mode d’éducation, par accumulation de savoirs, …
Or, le vivant nous montre, par ces innombrables formes et évolutions que les fonctions qui ont à être remplies, comme la nourriture, la procréation, le déplacement, les soins, … nécessitent une multitude de solutions adaptées à chaque espèce, milieu, conditions, … C’est sur ce pari de créativité-là que la vie a bâti son immense richesse et sa résilience. Grâce à des solutions redondantes aussi qui lui permettent de rebondir après les chocs ou en cas de pénurie.
La standardisation, dans le vivant, se situe à un autre niveau. Pas à celui des modèles ou solutions (évolutives car répondant aux variations de contexte) mais à celui du principe d’interopérabilité des molécules du Vivant. De ce langage commun qui tient en quelques molécules qui nous composent tous, humains, animaux, végétaux, bactéries, terre, … (lipides, protéines, sucres) et à l’énergie commune qui nous rend compatibles les uns avec les autres. Tout le contraire de la logique de spécifications des composants de nos outils …
La Permaculture propose de s’inspirer, là encore, du Vivant, et sur base de principes transversaux applicables à toutes les sphères de nos vies, d’inviter chacun à inventer son modèle de jardinage, d’éducation, de gouvernance, … en fonction des spécificités concrètes de son « terrain » et non en fonction d’une idée absolue de celui-ci.
Dans le domaine qui est plus particulièrement le mien, la gouvernance participative des collectifs, j’observe que la grande tentation des organisations, en matière de transformation de leur gouvernance serait de trouver un modèle éprouvé et de le dérouler, étape par étape dans leurs services, un peu comme nous avons pu le faire lors du passage à l’informatique.
Hélas, ce n’est pas envisageable. Frédéric Laloux, auteur du livre de référence en la matière, Reinventing Organisations, et Isaac Getz, de L’entreprise libérée, sont très clairs aussi sur ce point. Ce qui meut ces projets ce sont des principes philosophiques, des valeurs, … mais le matériau ce sont les hommes et les femmes, ceux-là et pas d’autres, dans un lieu, un contexte, un métier précis, différents de ceux du voisin, avec une histoire qui leur est propre et qu’il est nécessaire d’inclure dans l’opération sous peine de boomerang systémique.
Bref, sur base de principes, à utiliser comme des lunettes d’intention grâce auxquelles se diriger, tout est à inventer au niveau des modèles. Ceux-ci seront, de plus, à ajuster au fil du temps parce que la vie de l’organisation évolue …
Or, nous avons totalement perdu l’habitude de ce genre d’exercice créatif. Tellement accoutumés à « acheter » des modèles existants. A déléguer ailleurs notre aptitude de création
La Permaculture nous invite à nous réemparer de notre pouvoir créateur au service de la vie.
Nous appliquer les principes du Vivant comme « la vie a besoin d’un dedans et d’un dehors », « la vie s’organise grâce à l’information », « la vie se développe de bas en haut », … peut nous sembler nébuleux et peu pratique. Et c’est là que le travail de transposition de ces grandes règles en principes opérationnels, réalisé par Holmgren et Mollison est vraiment inestimable !
Ces principes opérationnels sont au nombre de 12 et constituent à mon sens, un véritable « mode d’emploi du Vivant » pour nos activités.
Ils sont évidemment systémiques, c’est-à-dire qu’ils se renvoient les uns aux autres, dansent entre eux et aident à concevoir une appréhension du jardin, de l’éducation, du travail sur nous-même, de la gouvernance, comme une toile d’interrelations entre des éléments divers : humains, informations, éléments de la nature, modes d’organisation, … agile et résiliente.
Les voici :
- Observer et interagir
- Intégrer au lieu de ségréguer
- Ne produire aucun déchet
- Utiliser les solutions lentes et à petite échelle
- Appliquer l’autorégulation et accepter la rétroaction
- Capter et stocker l’énergie
- Se servir de la diversité et la valoriser
- Utiliser et valoriser les ressources et les services renouvelables
- Utiliser les bordures et valoriser la marge
- Obtenir une production
- La conception, des motifs aux détails
- Face au changement, être inventif
Je vous invite à en découvrir les multiples applications dans tous les domaines cités plus haut, dans mon livre « Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer », mais aussi dans les autres ouvrages que je renseigne ci-dessous.
Tout tourne rond sur cette Terre, et s’associe. Tout, sauf notre culture cloisonnée, linéaire et compétitive. Changeons-la !
Marine Simon, 24 août 2021
1 Voir article « Tout tourne rond sur cette Terre «
Pour aller plus loin
Je vous recommande les vidéos ci-dessous et toutes celles que vous trouverez sur le sujet :
- Recherche à la ferme du Bec Hellouin – microferme et forêt jardin
- Permaculture et paysages comestibles
- Paysans-herboristes et autonomes depuis 17 ans dans l’Aveyron
Quelques lectures aussi :
- David Holmgren, Permaculture, Rue de l’échiquier, 2014
- Bill Mollison, Introduction à la permaculture, Passerelle Éco, 2012
- Masanobu Fukuoka, La révolution d’un seul brin de paille, Une introduction à l’agriculture sauvage, Guy Trédaniel Éditeur, 1975
- Perrine et Charles Hervé Gruyer, Vivre avec la Terre, Actes Sud Ferme du Bec Hellouin, 2019
- Sacha Guégan, Penser son projet en Permaculture, Ulmer, 2020
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