Changer de culture
17 avril 2024

La Récolte Honorable ou comment respecter les vies qui nous nourrissent

Marine Simon Facilitatrice en Intelligence Collective et Gouvernance participative

Marine Simon

cycle transmission occidental

* Illustration Jérémy Van Houtte in Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer, éd. Yves Michel, 2021

Changer "de" monde

Changer « le » monde peut nous paraître inatteignable. Mais changer « de » monde est à notre portée à toutes et tous !

Dans cette rubrique, je vous propose des changements de regard et des pratiques concrètes simples et pourtant hautement transformatrices de notre culture et proposant de retisser nos liens avec nous-mêmes, les autres humain.e.s et les autres qu’humains.

 

La Récolte Honorable, une charte pour prendre soin de nos relations avec les vies qui nous nourrissent, selon les Peuples Racines

Par le biais de notre culture occidentale, qui a envahi le monde, nous avons fait le choix du développement technologique, matériel, énergivore, extractif, polluant… nous rendant de plus en plus dépendants de ces modes de production et de consommation. 

Aujourd’hui, tous les signaux des limites de ce Vivant sont à l’orange clignotant, voire au rouge. Et cela peut nous donner une sensation d’inéluctable…

Pourtant, certaines communautés humaines ont fait d’autres choix. Nous avons commencé à les évoquer dans l’article « Et si la culture des Peuples Premiers pouvait nous reconnecter à nos racines … » et un grand chapitre leur est consacré dans mon livre Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer. Nous sommes les seuls, car eux ne l’ignorent pas…

Robin Wall Kimmerer est amérindienne et botaniste, professeur à l’Université de New York. Dans son magnifique ouvrage « Tresser les herbes sacrées », elle nous rappelle d’abord que nous sommes une espèce « hétérotrophe » : nous sommes incapables de transformer l’énergie lumineuse en énergie chimique. 

Nous sommes totalement dépendants, pour notre subsistance alimentaire et respiratoire, des autres espèces « autotrophes », elles, c’est-à-dire capables de générer leur nourriture à partir de minéraux, de gaz carbonique, de photons, … et du procédé que nous ne possédons pas : la photosynthèse. J’ai nommé les végétaux, les algues, les champignons, … Il en est de même pour les animaux que nous mangeons. Ils sont comme nous, hétérotrophes. Vivant par procuration. 

Et puisque nous dépendons d’autres vies pour notre propre existence, nous leur devons la protection.

Pour les peuples autochtones, prélever des végétaux ou des animaux pour notre survie nous met face à une responsabilité par rapport à ces vies que nous prenons, qui nous ont précédés et dont nous dépendons. 

Il s’agit donc pour eux « d’honorer le vivant et les vies qui nous environnent et, en même temps, les prendre pour vivre. » et cela, en garantissant au mieux, la santé et la richesse du Vivant, jusqu’à la septième génération.

Pour répondre au mieux à cette tension morale, ils ont conçu un code qui régit leur relation de prélèvement des végétaux et des animaux. Ils le nomment la Récolte Honorable.

En voici les principes :

Outil

  1. Le premier nous invite à connaître les plantes qui prennent soin de nous afin que nous puissions, à notre tour, prendre soin d’elles. Notre méconnaissance du monde végétal et animal, notre culture hors sol, essentiellement nourrie de repères urbains, de légumes, de fruits, de viande, de poisson en barquette sous la lumière artificielle des grandes surfaces, ou transformés au point d’être méconnaissables, nous empêchent de faire le lien entre ce qui nous nourrit au quotidien et la vie qui a palpité au cœur des cellules de ces végétaux et de ces animaux. Refaire ce lien, retisser cette relation de conscience est essentielle car nous ne pouvons prendre soin que de ce qui nous est proche.
  2. Présentons-nous. Nous venons demander la vie, assumons-en la responsabilité. Comme nous le ferions avec un autre être humain, dire qui nous sommes, annoncer notre intention de cueillette.
  3. Demandons la permission avant de prendre. Respectons la réponse qui nous est envoyée. Et, pour cela, appuyons-nous sur notre aptitude à « entendre » ou à « sentir » la réponse par le biais de notre intuition.
  4. Ne prenons jamais la première plante que nous trouvons, car elle pourrait être la dernière, de plus, dit Robin, « vous voulez que la première parle de vous en bien aux autres de son espèce, non ? »
  5. Ne prenons jamais la dernière non plus. Laissons à la plante la possibilité de poursuivre son cycle et de se reproduire
  6. Ne prenons que ce dont nous avons besoin.
  7. Ne prenons que ce qui nous est donné. «  Lorsque la plante est trop jeune, les feuilles consomment et puisent sans cesser dans leurs racines, sans donner en retour, dit Robin. Mais au fur et à mesure qu’elles se déploient, elles deviennent une sorte de panneau solaire qui recharge les racines en énergie. En l’espace de quelques semaines, une parfaite réciprocité s’établit entre consommation et production ». Attendez ce stade. Ce principe exclut aussi ce qui n’est pas accessible, ce qui inflige à la Terre des dommages irréparables pour son extraction. Et notre culture aime particulièrement l’ignorer. Chaque jour, pourtant, des énergies nous sont offertes par le soleil, le vent, les vagues. Nous n’avons pas besoin de détruire notre environnement pour les utiliser. La Récolte Honorable est aussi valable dans le domaine des énergies.
  1. Ne prenons jamais plus que la moitié. Laissons-en un peu pour les autres, humains et non humains
  2. Récoltons de manière à minimiser les dégâts et dégradations.
  3. Faisons-en usage avec respect. Ne gaspillons jamais ce que nous avons pris.
  4. Partageons
  5. Rendons grâce pour ce qui nous a été donné et faisons un cadeau, par réciprocité, pour ce que nous prenons. Les Amérindiens remercient en déposant un peu de tabac à l’endroit de leur récolte. Et ils remercient avant de récolter et non, après. Cette pratique permet de s’ouvrir à ce qui sera donné, quoi qu’il en soit, et non de manière conditionnelle, en fonction de ce que l’on a reçu. Ça change tout au niveau de l’ouverture du cœur car on double ainsi la gratitude de la confiance en ce qui sera juste. Nous pouvons inventer nos propres offrandes pour autant qu’elles soient bénéfiques pour la Terre.
  6. Soutenons ceux qui nous soutiennent, et notre Terre durera toujours. 

 

Le code de la Récolte Honorable induit de considérer ces êtres dont nous prenons la vie comme des égaux, des êtres doués d’une conscience et d’une intelligence propres. Et, de fait, ne sommes-nous pas frères et sœurs d’origine ?

Robin Wall Kimmerer, Tresser les herbes sacrées, Sagesse ancestrale, science et enseignements des plantes, Le Lotus et l’Éléphant, 2021

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