Le Vivant
15 avril 2024

Le Vivant visible et « un-visible »

Marine Simon Facilitatrice en Intelligence Collective et Gouvernance participative

Marine Simon

Conscience du Vivant visible et invisible des Peuples Racines

* Illustration Jérémy Van Houtte in Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer, éd. Yves Michel, 2021

« Toutes les religions du monde tentent de prouver que Dieu nous aime. Mais moi, quand je sens la chaleur du soleil sur ma peau, la caresse du vent sur mon visage, je sais que Dieu m’aime », disait Ron Evans, le chamane nord canadien avec qui j’ai cheminé un temps.

La culture des Peuples Premiers s’enracine dans une vision systémique du monde, profondément interconnectée. Une relation intime vécue avec l’ensemble des espèces et des règnes. Et ce, bien avant que nous n’inventions la cybernétique ou la physique quantique qui réhabilite ces perceptions de la réalité.

Ils possèdent une connaissance approfondie et subtile des animaux et végétaux qu’ils côtoient, du climat et de toutes les manifestations tangibles et intangibles de la Terre et de l’ensemble du Cosmos, auxquels ils vouent un respect infini.

Pour en avoir fréquenté certains et avoir lu de nombreux témoignages à propos de leur vision du monde et de leurs pratiques, ce qui me touche est l’universalité de leurs représentations. Sans s’être fréquentés, qu’ils soient Kogis, Maasaï, Mongoles, Navajos, … ils ont développé une connaissance du Vivant et des pratiques semblables pour prendre soin de ce Tout qu’ils considèrent comme sacré. Semblables aussi à celles qui étaient les nôtres, il y a longtemps.

Chez nous, le sacré, le religieux, est enfermé dans des lieux que nous avons appelés églises, temples, mosquées, synagogues, … et dédiés à des dieux multiples, à notre image. Et aujourd’hui encore, nous tentons de déterminer qui détient le bon, perpétuant ainsi une culture de séparation même dans ce domaine sensé relier.

Puisqu’ils perçoivent l’interconnexion de Tout, ils abordent la vie à partir de cette représentation, fondent leurs règles sociales non dissociées de celles de la Nature, soignent les maux des individus et ceux de la communauté en honorant et rétablissant les liens unissant les plans physiques, émotionnels, psychiques et spirituels. Des hommes ou femmes-médecines, des chamanes ayant reçu une initiation longue aident à maintenir l’harmonie entre ces différents plans.

Nous, nous nous sommes construits une cosmogonie cloisonnée ou visible et invisible ne se côtoient pas, où le second, d’ailleurs, a cessé artificiellement d’exister, depuis les Lumières, car non appréhendable par la raison, outil sacré de notre construction culturelle.

Lors de l’écriture du livre Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer, j’ai souhaité vérifier à quel point cette culture du déni de l’invisible était ancrée autour de moi. Covid nous obligeant au confinement, j’ai organisé plusieurs sessions en visio avec, à chaque fois, trois personnes, pour sonder leur relation à l’invisible et ce qu’elle entendait par là.

Les résultats m’ont bouleversée !

Voici les trois questions que nous avons explorées et un extrait des réponses :

1. L’invisible, pour moi, c’est … et la relation que j’entretiens avec tout ça, c’est …                  Avec la première phrase ouverte, je souhaitais explorer les différents aspects que couvrait pour chacun.e ce concept d’invisible, les vécus personnels et de quoi était faits les liens.

« Je sais que ça existe ! » est, étonnamment, une perception vibrante et commune à tous, doublée d’une puissante intuition que le visible et l’invisible ne forment qu’un seul monde. « Je sens que je viens de là et que j’y retourne. », « C’est naturel pour moi, comme la respiration», ont partagé certains d’entre nous.

Mais qu’est-ce ?

Pour certains, c’est tout ce qui ne se voit pas avec les yeux, bien qu’il leur arrive de voir les auras et les flux énergétiques. Pour d’autres, c’est un espace d’Amour total, de guérison, un allié, l’espace de rencontre avec notre âme où l’on sent qu’on n’est pas tout seuls. C’est à la fois l’esprit de la fourmi, de la feuille, de la pierre, de chacun de nous qui fait qu’on est Tout et Un, à la fois. C’est un champ d’information parallèle immense, une 2e réalité par rapport à la réalité de tous les jours, mais tout aussi réel et important. C’est l’invisible prêt à apparaître.C’est tout ce qui sous-tend, précède, orchestre le visible, ce qui anime les corps. C’est l’énergie qui relie tous les êtres vivants. Ça donne du sens.

Que s’y passe-t-il ?

C’est un espace de transmutation qui nous indique là où c’est bon pour chacun d’aller, qui nous met sur un chemin, nous fait évoluer. Même si ce n’est pas toujours facile, c’est toujours bien à long terme.

Quelles relations entretenons-nous avec cet invisible ?

C’est plus signifiant pour certains que le visible. Être en relation avec cet espace est une question de fréquence. « Si mon cœur est ouvert, j’y ai un accès direct plus vivant, ça dilate mon cœur, c’est lumineux. », « Si je me mets à sa disposition, je suis plus heureuse. Cela me demande de prendre le temps de m’arrêter, de sentir, je le perçois par une expérience dans le corps, une sensation de connexion au grand Tout. », « Cela demande d’être « au service » de quelque chose qui me dépasse. »

Quelles sont les voies pour y accéder ?

L’émerveillement, l’humilité, le respect, la confiance, l’abandon, la gratitude, l’intuition, les ressentis, l’écoute subtile, l’incertitude, le contact avec des présences, le lien, le rêve, les synchronicités, les attirances et répulsions … mais aussi la télépathie, la géobiologie, la méditation, les soins énergétiques, les pratiques chamaniques. 

2. Je parle facilement de ma relation avec l’invisible. Et si ce n’est pas le cas, ce qui m’empêche de le faire c’est …                                                                                                          Avec la seconde phrase ouverte, je voulais que nous regardions ensemble ce qui, aujourd’hui, empêche un libre lien assumé avec cette part de nos existences.

Une autorisation à en parler qui évolue avec l’âge, un sentiment de solitude petit ou jeune, pour celles et ceux qui avaient des perceptions de l’invisible et étaient peu entendu sur ce plan par la culture cartésienne dominante. Des échanges qui demandent de la sécurité dans la relation, savoir que l’autre ou les autres sont ouverts par rapport au sujet. Une certaine peur d’en parler. Peur d’abîmer le précieux de ces vécus en les nommant. Peur d’avoir à en débattre, peur des critiques, de la violence, de l’agressivité, de la gêne, du discrédit, de la non réceptivité, du rejet, du jugement, du cynisme, … « peur qu’on m’interdise de le vibrer ». 

Pourquoi ce danger ressenti qui éveille des besoins de sécurité de part et d’autre ?

« Cet invisible est comme une porte ou une digue dans le dos susceptible de tout remettre en question», « Pour percevoir l’unité, il y a une étape importante et risquée de désidentification à son moi séparé à vivre», « C’est une partie tellement intime, vulnérable, fragile en moi, qui me touche et qui demande de rechercher un équilibre entre liberté et sécurité».

3. Ce que cela changerait entre nous et avec les non-humains, d’en parler librement, de réintégrer l’invisible dans nos vies, ce serait …                                                                                Je souhaitais explorer avec la troisième phrase ouverte la conscience collective que nous avions des impacts qu’auraient sur nos vies de réhabiliter l’invisible.

« Ça changerait tout ! Moins de peurs, de colères, d’incompréhensions par rapport aux évènements, plus de recul, plus d’acceptation, plus de sens. Ça permettrait une lecture spirituelle des évènements tels que le coronavirus, qu’il soit plus facile d’en parler. Ça nous permettrait de résoudre nos problèmes au bon niveau de résolution ».

Plus de fertilité, de créativité, d’imprédictibilité, plus d’accueil, moins de maîtrise, plus de confiance, moins de peur, plus de justesse, plus de silence dans nos vies, une autre qualité d’écoute, moins de danger ressenti au niveau du cœur.

Ça ouvrirait, faciliterait, augmenterait la qualité du lien, de voir les liens, invisibles avant. Ça permettrait de parler de ressentis, de partager des visions, des vécus différents. De ne rien imposer, d’accueillir comment chacun nourrit ça.

Plus de joie, de simplicité, d’être, de légèreté, de place pour l’enfant intérieur, de respect, davantage relié et posé, plus de droit d’exister, plus de paix, plus de sécurité, plus de tolérance, plus d’authenticité »

« Ça ramènerait la confiance dans le Vivant. Ça apporterait une recherche d’équilibre, une conscience de nos rôles respectifs, un réajustement de notre place en tant qu’espèce, nous permettrait d’être plus « durable » »

« Ça permettrait d’en développer la grammaire, la compréhension, de le prendre en compte, de prendre soin de ce qui est vulnérable, sensible »

« Ça nous ferait vivre que ce plan matière est un plan d’Amour. Pas besoin d’attendre d’être passé dans l’au-delà ».

Un partage des impacts qui m’a profondément impressionnée ! Qu’attendons-nous pour y aller ?

Outils

Et vous, c’est comment votre relation à l’invisible ? En parlez-vous facilement et si non, qu’est-ce qui vous en empêche ? Et quand vous le réhabilitez dans vos vies, ça change quoi en vous, avec les autres et avec l’ensemble du Vivant ?(*)

Si ce sujet vous intéresse, je vous propose d’écouter ou réécouter l’épisode S1 11 du podcast Tout tourne rond sur cette Terre, un dialogue avec Manuel Coley, artisan musicien, méditant-militant

Une très belle série-documentaire, Les chemins du sacré, signée par Frédéric Lenoir est également présente actuellement sur ARTE, jusqu’au 23 mai

Vous avez aimé ce contenu ? N’hésitez pas à le partager autour de vous !

* Extraits du livre Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer – Inspirés du Vivant, des Peuples Racines et de la Permaculture, changeons de culture, éd. Yves Michel, 2021