Le Vivant
19 février 2020

6 clés de durabilité du Vivant pour inspirer la gouvernance de nos collectifs

Marine Simon Facilitatrice en Intelligence Collective et Gouvernance participative

Marine Simon

Gauthier Chapelle Biomimicry.eu

Gauthier Chapelle​

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* photo Muriel Emsens

Il y a un peu plus de 10 ans, Gauthier Chapelle, naturaliste, docteur en biologie et moi, facilitatrice en intelligence collective, passionnée de systémique, avons croisé, pendant 2 ans, nos observations à propos du fonctionnement du Vivant dans son ensemble et celui des collectifs humains. Ce fût PASSIONNANT !

Nous en avons tiré 6 clés de durabilité du Vivant (qui, je le rappelle, est le plus grand organisme existant, sans centralisation et sans chef, ayant réussi son test de durabilité après plusieurs effondrements) plus qu’inspirantes pour nos collectifs. 

A l’heure où nous avons à réinventer notre façon d’habiter la Terre, si nous voulons durer, et où quelques 85% des collectifs qui se créent s’effondrent dans les 2 ans, nous serions, il me semble, bien avisés de nous inspirer des principes de ce qui est notre seule maison, la biosphère, seul espace connu où la vie telle que nous la connaissant, est possible.

Gros plan sur l’intelligence du Vivant

Il y a encore 130 ans, la science pensait que le mode relationnel privilégié dans le Vivant était la compétition. Depuis 50 ans à peine, elle observe et reconnaît que la coopération entre les espèces prévaut et constitue le plus haut facteur d’évolution (coopération entre les cellules, entre les bactéries et notre organisme, entre les arbres et les champignons, …).

Pourquoi ? Au cours de nos recherches, il nous est apparu que, sans centralisation, il semblait y avoir quelque chose « tenant ensemble toutes les espèces et phénomènes » qui font le Vivant, quelque chose qui, non seulement, perpétuait sa danse mais l’amenait aussi à s’adapter, à chercher sans cesse son équilibre pour créer et entretenir les conditions de la vie. Comme si une « intention » l’animait. Et il nous a semblé que, si nous tentions de la traduire en mots, elle pourrait ressembler à ceci : « rester vivant, ensemble, et se reproduire ». « Ensemble » faisant toute la différence avec la culture de l’individualisme et de la compétition que nous nous sommes bâtie !

Pour mettre son plan à exécution, le Vivant favorise depuis toujours la coopération, la compétition coûtant trop cher en termes d’énergie et de risques à ses protagonistes. La coopération s’exprime sous forme de symbioses entre espèces et repose sur la la diversité, voire la redondance parce que cela permet de mieux aborder les crises. 
Il transforme les déchets en ressources, utilise l’énergie avec efficacité, les ressources avec parcimonie et fait toujours le meilleur usage des talents locaux.

Ce foisonnement, cette diversité constituent précisément ses meilleures conditions de vie. Intelligence Collective et coopération donc avant tout, parce qu’il s’agit là du plus haut facteur d’innovation.

Que d’inspiration pour nos propres enjeux de durabilité et pour ceux de nos organisations !

Si, aujourd’hui, le biomimétisme inspire de plus en plus les évolutions technologiques (systèmes dépuration des eaux, des sols, de l’air, le velcro inspiré des crochets de la bardane, les turboréacteurs construits sur le modèle du nautile, …), il est également une source d’inspiration inépuisable en termes d’interactions, d’interrelations entre les éléments d’un écosystème qui nous invite à développer tout le champ de l’innovation non-technologique, celui de nos relations entre nous et avec les autres espèce

6 clés de durabilité du vivant, un fil "vert" pour notre pérennité et celle de nos organisations

Les 6 clés de durabilité que nous avons dégagées de nos observations du Vivant et des pratiques en intelligence collective peuvent être utilisées comme un canevas de lecture souple permettant de vérifier si les meilleures conditions sont rassemblées pour créer coopération et durabilité.

Clé 1 : Être conscient du tout dont nous sommes partie

Que cela nous convienne ou non et malgré toutes nos tentatives à nous imaginer « au-dessus de la mêlée », nous sommes partie intégrante d’un tout. Nul autre espace pour l’activité économique que la sphère sociale et nulle autre aire pour la sphère sociale que la biosphère.

De même dans l’organisation : nul autre espace, pour chaque collaborateur, que la sphère de son département ou de son projet transversal, nulle autre aire pour chaque département que la sphère de l’organisation globale. Nulle autre étendue d’activité pour l’organisation que sa région, ses parties prenantes (clients, fournisseurs, l’eau, l’air, les espèces qui les produisent …), la planète.

Être conscient de cette appartenance inéluctable change profondément le regard que nous portons sur nos interrelations aux « autres » éléments de l’ensemble, sur notre responsabilité par rapport à eux.

Clé 2 : Être compatible avec le tout dont nous sommes partie, ses limites et sa finitude​

Nous prenons conscience ces dernières décennies des limites et de la finitude de la biosphère que nous habitons. Celle conscience est nouvelle et nous laisse encore assez démunis.

Comme le dit Gauthier Chapelle « Les autres espèces ont eu jusqu’ici l’intelligence de construire une économie de flux plutôt que de stocks, utilisant l’énergie solaire pour assembler et désassembler les matériaux qui les composent ». Ils ont « fait avec » les limites et la finitude qui leur étaient imposées, cherchant à faire usage de ressources abondantes et gratuites plutôt que rares et chères. »*

En termes d’interrelations dans nos organisations, « être compatible avec le tout dont nous sommes partie, ses limites et sa finitude », c’est chercher à inclure chaque partie prenante, dans sa différence, à valoriser les talents en présence, à transformer l’existant grâce à la créativité conjuguée de chacun, à réguler les tensions, à évaluer régulièrement son mode de gouvernance et à le faire évoluer, … et, ainsi, « transformer les déchets en ressources, utiliser l’énergie de chacun avec efficacité, les ressources avec parcimonie et faire le meilleur usage des talents locaux », comme le Vivant. Les pratiques d’intelligence collective permettent d’organiser et de reproduire cela.

Clé 3 : Pas de durabilité sans innovation, pas d'innovation sans coopération

« De tout temps, le vivant a dû « faire » avec une planète aux conditions changeantes. Des changements réguliers et prévisibles … ou plus chaotiques et imprévisibles. Les espèces et les écosystèmes actuels n’ont réussi à s’accommoder qu’en innovant constamment… les symbioses qui résultent de la coopération sont partout, et ont conduit à la fois aux innovations les plus cruciales de l’évolution, comme la multicellularité ou la photosynthèse; et à des fonctions indispensables pour nos écosystèmes, … comme la fixation de l’azote atmosphérique pour en faire les protéines, … »*

Et si, pour nous, aujourd’hui, la plus grande innovation était d’oser transformer notre culture d’expertise et de cloisonnement en pratique de croisement des regards et compétences ? N’est-ce pas ce qui se profile avec la « société de la connaissance » qui émerge de toutes parts ?
Si nous avons pu modéliser et reproduire les stratégies de la compétition (existant également dans le vivant mais plutôt en marquage de territoire), peut-être est-il temps d’en faire de même avec la coopération …

Clé 4 : Pas de coopération sans intention commune

L’intention du Vivant permettant son « autopoièse », son fonctionnement organique, ce qui justifie ses choix d’évolution et de fonctionnement, et qui pourrait être « rester vivant, ensemble, et se reproduire » est claire ; non pas une espèce plus qu’une autre car c’est justement la diversité qui crée les conditions de la vie et de la survie en cas de crise.

« Une intention qui a traversé le temps, qui anime et constitue les communautés du vivant depuis des milliards d’années, surtout lorsque ces envies de vivre partagées sont renforcées par la coopération. C’est toute la différence entre une dominance de la compétition, qui exige une débauche d’énergie constante pour tous et une coopération généralisée qui permet de faire plus à partir du peu. »*

Dans l’organisation, dans la conduite de projet, il est également question « d’énergie » à disposition, de fédération des intentions individuelles autour d’un projet collectif. Les approches en intelligence collective, comme l’élaboration collective de vision, les processus sociocratiques, … permettent de faire émerger cette intention commune riche de la diversité en présence et garante d’un co-pilotage durable parce que nourri d’une forte implication de tous dès le départ.

Clé 5 : Pas de coopération sans sécurité

Pour la NASA : «Est vivant tout système délimité sur le plan spatial par une membrane semi-perméable de sa propre fabrication et capable de s’auto-entretenir, ainsi que de se reproduire en fabriquant ses propres constituants à partir d’énergie et/ou à partir d’éléments extérieurs».

Dans le Vivant, de la cellule à l’organe, de l’organe à l’individu, de l’individu à la communauté, de la communauté à l’écosystème et de l’écosystème à la biosphère, chaque élément est entouré d’une membrane matérielle ou identitaire, tangible ou intangible.

« Le premier rôle de la membrane, c’est de contenir. De distinguer ce qui est dedans de ce qui est dehors, de permettre au « dedans » de s’ordonner, de s’aligner sur un objectif (comme rester vivant et se reproduire…) sans se laisser trop influencer par le « dehors ». Ceux qui se penchent sur la naissance de la vie le rappellent, sans les premières membranes, les molécules organiques n’auraient pas pu se concentrer et s’auto-organiser jusqu’à donner la première cellule. S’en déduit un second rôle, difficile à dissocier du premier : la membrane protège !

D’où découle très vite un troisième : garantir l’identité. Car c’est sur la membrane que se portent les signes distinctifs permettant de communiquer, de dire qui l’on est, à la fois par sa fonction particulière (dans le corps humain par exemple, suis-je un globule rouge transporteur d’oxygène, ou une cellule de réserve d’un tissu graisseux ?) et à quel ensemble plus important j’appartiens (ce qui permettra, autre exemple, au système immunitaire de distinguer cellules du « moi » et du « non-moi »).
Cette capacité de communication illustre aussi que la membrane n’est pas un bouclier rigide, mais assure encore un autre rôle primordial : filtrer les entrées et les sorties, à savoir tous ces échanges de matière et d’énergie permettant au vivant de rester vivant. Car c’est bien à travers les membranes que transitent l’oxygène, le gaz carbonique, les sucres, certaines vitamines, certaines hormones, et bien d’autres molécules… »*

Notre culture occidentale s’est davantage construite sur une logique individualiste que communautaire.
Cependant, nous sommes tous sensibles aux « accrocs », aux « violences » faites à la « membrane ». Il suffit que l’un d’entre nous quitte la réunion importante que nous tenions, sans avoir préalablement prévenu le groupe, pour ressentir le malaise collectif que cela suscite, le questionnement, le flottement qui règne ensuite, la frustration, voire la méfiance si ce n’est pas la première fois … pour nous rendre compte que nous possédons une certaine conscience de la « membrane » intangible qui contenait le groupe dans son ensemble. Que celui-ci soit permanent ou temporaire. Si celui qui quitte la rencontre avait annoncé, en début de réunion, qu’il ne pourrait rester jusqu’à son terme, le groupe aurait pu anticiper et ouvrir la membrane au moment du départ pour la laisser se refermer sans perte d’énergie, ensuite.

Les approches en intelligence collective et les fondamentaux qui les sous-tendent nous apprennent à « fabriquer et à auto-entretenir» cette membrane, comme le Vivant. A développer de vraies compétences d’inclusion. Cela permet d’assurer la sécurité de chacun dans le groupe, d’alléger nos systèmes d’auto-défense et de nous ouvrir à la co-création. Cette seule expérience change à ce point la nature des vécus collectifs que la compétition devient un moindre choix, le résultat obtenu ensemble dépassant en créativité, innovation, efficacité celui obtenu les uns contre les autres.

Clé 6 : Signaux et réponses : comment apprendre et s'adapter

« Dans le monde emboîté, enchâssé l’un dans l’autre déjà évoqué, de la cellule à la biosphère, le vivant et la coopération se perpétuent par une communication incessante, par une foule de signaux et de messages émis, reçus et interprétés en permanence avant d’y répondre. C’est grâce à eux, conscients ou inconscients, que nous nous régulons en permanence, que nous évoluons, que nous nous adaptons aux changements, prévisibles ou non. Que ce soit notre glycémie ou notre température ; notre anxiété ou notre besoin de sécurité dans un groupe. »*

Peu de centralisation, de hiérarchie en silos dans cette circulation d’informations, dans cette démarche d’amélioration permanente … « les organismes vivants sont assez clairs sur la question : une centralisation et une hiérarchie pyramidale strictes sont des choix délicats, rares ; qui pour plus d’efficacité acquièrent aussi une plus grande vulnérabilité, une perte d’adaptabilité et de résilience ; et qui, à cause de ce manque de souplesse, ne peuvent se risquer au-delà d’une certaine taille. »*

Les approches en intelligence collective invitent à passer d’une posture de prédiction et de contrôle qui nous mène rarement au résultat escompté à un fonctionnement différent : clarifier l’intention, l’objectif, contenir les processus et assurer ainsi la membrane puis accueillir les idées, les inspirations, … « le Vivant » de l’organisation et réadapter. Laisser émerger un résultat que nous n’imaginions pas, supérieur à la simple addition des parties en présence.

« Signaux et réponses », sont la première nourriture de ces approches permettant de développer ensemble notre «intelligence » qui n’est autre que la capacité à s’adapter, à créer les meilleures solutions aux problématiques rencontrées.

En intelligence collective, on estime que chacun est « celui qu’il attend » pour faire évoluer les choses, chacun dans son propre périmètre de responsabilité au service de l’ensemble. Les processus rigoureux et sécurisants que prévoient ses approches permettant à l’ensemble du groupe, d’entrer dans une démarche apprenante permanente.

* « S’approprier les clés de la mutation », ouvrage collectif dirigé par Christine Marsan, auquel nous avons participé tous les 2, Gauthier Chapelle et Marine Simon, paru en décembre 2012, aux éditions Chronique Sociale

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