Le Vivant
10 janvier 2021

Embrasser la complexité du Vivant

Marine Simon Facilitatrice en Intelligence Collective et Gouvernance participative

Marine Simon

Complexité du Vivant visible et invisible

* illustration Jérémy Van Houtte in Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer, éd. Yves Michel

Cet article est le premier d’une série d’articles en résonance avec mon ouvrage « Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer. Inspirés du Vivant, des Peuples Racines et de la Permaculture, changeons de culture », qui sortira, aux Editions Yves Michel, en mars 2021.

J’ai eu envie de les écrire, à la fois, pour vous permettre de découvrir la proposition de mon ouvrage et pour me permette d’y faire rebondir des éléments de l’actualité ou de le prolonger de réflexions complémentaires.

Bonne lecture !

Embrasser la complexité du Vivant demande de mobiliser toutes nos aptitudes

2020 et sa crise sanitaire mondiale toujours en cours, outre les difficultés quotidiennes auxquelles elles nous confrontent, nous ont donné et nous donnent encore une incroyable occasion de remise à plat de nos représentations du monde, du Vivant, de nous-mêmes, de l’essentiel, … de la mort.

Une remise à plat dont nous peinons encore à mesurer l’ampleur.

Le cadeau du Tout relié

Pour moi, parmi les cadeaux de cette épreuve, il y a d’abord cette leçon de systémique mondiale, du « tout relié », d’un bout à l’autre de la planète. Au niveau sanitaire, entrainant avec lui, le secteur de nos activités économiques, de nos manières de travailler, de nos manières de vivre chez soi, en soi, avec nos proches ; de gérer l’enseignement des enfants à la maison, d’arrêter de se faire plaisir en allant au restaurant, au cinéma, au théâtre, … en se déplaçant librement. Nous obligeant à développer de nouvelles habitudes pour prendre soin, de soi et des autres, là où, comme des enfants, nous vivions dans l’innocence que quelque chose prenait soin pour nous.

Nous avons découvert, soudain, que le Vivant est systémique et circulaire, là où notre culture analytique nous donnait à penser que nous avions le pouvoir de lui imposer notre vision cloisonnée et linéaire. Quel choc !

Nous le sentions bien venir, ce réveil, par le biais des problématiques liées au réchauffement climatique causé par nos trop importantes émissions de CO2, par le biais des migrations de populations victimes de ce même réchauffement climatique, … mais nous rêvions encore que l’heure du réveil était lointaine, que nous avions encore quelques décades devant nous à dormir tranquille dans notre culture fragmentée.

Et face à l’ampleur de la révélation, nous sommes, dans un même temps, confrontés aux limites de nos modes de penser habituels. C’est trop grand, trop confus, diffus, intriqué pour aborder la situation avec notre seule réflexion mentale, nos habitudes prédictives et contrôlantes, nos modèles rassurants.

Le cadeau de l'incertitude

L’autre cadeau, bien inconfortable, de cette crise est l’inconnu, l’incertitude, la perte de maîtrise auxquels elle nous confronte. L’obligation insupportable de ne pas savoir, de ne pas comprendre intellectuellement. De ne pas connaître les origines exactes de l’apparition du virus, de ne pas savoir comment va évoluer cette pandémie, de ne pas savoir exactement comment se contracte le virus, ce qui fait que l’on en développe une forme sévère ou non, … Ne pas savoir. Pour les « têtes bien pleines » que nous sommes, quelle révolution !

Penser, raisonner n’est plus suffisant. Devant l’incertitude, nous avons eu à prendre de multiples avis, à nous faire notre propre opinion, à accepter que les informations se contredisent, s’annulent, … que nos projets disparaissent, se reportent jusqu’à quand … ? A attendre 7 jours après avoir été en contact avec une personne contaminée pour observer si notre corps, lui aussi l’était. Même fêter Noël nous a plongé dans des réflexions totalement inhabituelles, nous a emmenés à prendre des décisions qui entrainaient soit des risques pris, soit des isolements difficiles à vivre. Jamais sapin ou dinde n’avaient entrainé autant de questions existentielles.

Et pour les aborder, nous avons dû faire appel à bien d’autres aptitudes que celles que nous utilisons habituellement : nos ressentis, nos aspirations, nos émotions, nos intuitions qui nous ont renseigné sur ce qui était juste pour nous, pour les autres, … bien au-delà d’une simple réflexion mentale sur le sujet, isolée de tout le reste.

Quel cadeau !

Notre culture occidentale qui nous a enseigné depuis plusieurs siècles à nous méfier de toutes ces choses « irrationnelles » en nous, nous a habitué à les tenir bien éloignées de la raison et de notre mode de réflexion binaire. 

Sauf que celle-ci, pour appréhender le complexe, est bien loin d’être suffisante.

Réconciliation forcée donc et libération !

Le cœur de la leçon de cette crise sanitaire n’est-elle pas une invitation grand format à embrasser « la complexité du vivant » avec l’ensemble de nos aptitudes humaines ? Enfin !

« Complexité » vient du mot latin « complexus » qui veut dire « tissé ensemble ». Et dans la Nature, dans le Vivant, tout est lié, d’un règne à l’autre (minéral, végétal, bactérien, animal, …), d’une espèce à l’autre, en des boucles infinies. Une danse à l’organisation spontanée faite d’interactions complexes, de boucles de rétroaction, qui créent et entretiennent sans cesse les conditions de la vie.

« Relier, relier, relier, voilà le problème de la complexité », dit Edgar Morin. Problème pour nous, en Occident, qui avons choisi un mode de pensée analytique, cloisonné, linéaire. Problème culturel, donc.

D’autres cultures existent et nous montrent les pas qui nous permettraient de réemboîter ceux du Vivant. Il s’agit des Peuples que l’on dit « Racines », ou « Premiers », « autochtones », « anciens », qui cultivent depuis toujours cet art d’embrasser la complexité du réel, visible et invisible. 

Ils sont Maasaï, Kogis, Aborigènes, Amérindiens, Mongols, … Ils se considèrent comme appartenant à la Terre et à l’ensemble du Vivant au même titre que toutes les autres espèces. La Terre, pour eux, est un être vivant, sacré et, le Vivant, une danse de cycles infinis, s’entremêlant sans cesse et nous invitant à les suivre pour en maintenir l’harmonie. 

Pour embrasser toute cette complexité, ils ont gardé l’habitude de mobiliser et de développer tout autant leurs perceptions subtiles, leur sensitivité, leurs émotions, leur intuition, le langage symbolique que leur réflexion mentale. Et ils vivent en des lieux où la biodiversité est la plus préservée et la plus riche parce qu’ils ont su en prendre soin sur des centaines de générations.

Lorsque j’accompagne des collectifs en gouvernance participative ou que je forme à ce type d’auto-organisation, soutenue par les principes de la Permaculture (inspirée du Vivant et des Peuples Racines), je vois que c’est là que nous avons le plus de chemin à parcourir : sortir de notre culture de la fragmentation, de la ségrégation. Oser embrasser le monde et les collectifs dans lesquelles nous vivons d’un nouveau regard holistique, accueillant toutes les subtilités palpitantes des organismes vivants qu’ils sont et, pour cela, oser mobiliser et développer nos perceptions subtiles et nous les offrir en belle et juste complémentarité de nos aptitudes mentales.

Pour faire « avec le Vivant », nous avons besoin de tous nos sens pour observer avant d’interagir, comme le recommande le principe central de la Permaculture, avant d’entrer en relation, de danser avec ce qui est là, et non imposer, raser l’existant pour y substituer un quelconque modèle aliénant.

Gageons que cette crise sanitaire nous aura fait faire un bond en ce sens ! Alors, nous serons en capacité de construire une société humaine qui soutiendra la vie.

Tout tourne rond sur cette Terre, et s’associe. Tout, sauf notre culture cloisonnée, linéaire et compétitive. Changeons-la !

 

Marine Simon, le 10 janvier 2021

Pour aller plus loin

Je vous recommande le très beau documentaire d’ARTE : Canada, Nahanni, la rivière du pardon, qui donne à voir les différents niveaux de perception du monde mobilisés par ce peuple.

Et quelques ouvrages :

  • Gauthier Chapelle et Michèle Decoust, Le vivant comme modèle, Albin Michel, 2015.
  • Jean-Marie Pelt et Pierre Rabhi, Le monde a-t-il un sens ? Librairie Arthème Fayard, Babel Essai, 2014.
  • Frederika Van Ingen, Sagesses d’ailleurs pour vivre aujourd’hui, Éditions des Arènes, 2016.
  • Frederika Van Ingen, Ce que les peuples racines ont à nous dire, Les Liens qui Libèrent, 2019.

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