Le Vivant
11 février 2021

Tout tourne rond sur cette Terre

Marine Simon Facilitatrice en Intelligence Collective et Gouvernance participative

Marine Simon

Tout tourne rond sur cette Terre

* illustration Jérémy Van Houtte in Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer, éd.Yves Michel

Tout tourne rond sur cette Terre

Attachez vos ceintures, je vous emmène sur la Grande Roue. La Grande Roue du Vivant.

Imaginez, nous sommes au milieu du printemps et vous vous baladez dans la Nature. Au détour d’un chemin, vous tombez en admiration devant un groupe de marguerites tendant ardemment leurs cœurs jaunes et ronds au soleil. Mais qui a inventé ce jaune ? Et cette rondeur parfaite ? La régularité et la finesse des pétales ?

Une abeille vous rejoint pour se nourrir du nectar des fleurs et charger ses pattes de pollen, avec ferveur. Cette récolte précieuse pour les besoins en protéines de la colonie rend, en même temps, un formidable service à la fleur puisque cette associativité lui permet d’être fécondée et de se reproduire.
Voilà une première boucle.

Rentrée à la ruche, notre abeille retrouve probablement une de ces congénères dansant allègrement pour partager à la communauté sa découverte d’un spot de fleurs particulièrement abondant. Si elle danse en cercle, c’est que la source est proche. Si plus éloignée, elle a recours à la danse en « huit », dans une certaine inclinaison par rapport au soleil, pour indiquer la direction. La distance et le niveau d’abondance sont transmises par des frétillements plus ou moins longs. Deuxième boucle.

Si ce spot est un verger, vous y entendrez vrombir à coup sûr, si vous y passer. Et là aussi, leurs emplettes feront double boucle, une pour elles et une pour la fructification des arbres. Triple, même, puisque nous aurons le plaisir de déguster, quelques semaines plus tard, les magnifiques cerises, pèches, abricots, … auxquels ils donneront naissance. Cinquième boucle donc … si l’on ne compte pas celles formées par la rondeur de tous ces fruits, celle de leurs noyaux.

Dans un même temps, en plus de nous concocter nos desserts des beaux jours, ces arbres et leurs feuilles, grâce à la chlorophylle qu’elles contiennent et aux rayons du soleil, absorbent le gaz carbonique de l’air et rejettent l’oxygène dont nous sommes aussi particulièrement friands. Du côté des végétaux ces transformations les fournissent en glucides dont ils ont besoin pour se développer. Encore de jolies loopings démultipliés …

Suivons la course de cet oxygène produit par les végétaux, mais aussi les algues, et entrons dans sa danse circulaire à lui, à l’intérieur de nos corps. Oxygène à l’inspire, dioxyde de carbone à l’expire, en une boucle sans fin prise en relais par notre système circulatoire, lui aussi en anneau : passage de cet oxygène dans les vaisseaux sanguins, au niveau des alvéoles des poumons, et transport de son énergie, ensuite, dans tout le corps, avant le retour du dioxyde de carbone dans les poumons pour expiration. Retour aux arbres. 

Bien sûr, nous avons appris tout cela à l’école, mais le conscientisons-nous vraiment ?

 

Vous en voulez encore ? En voilà. 

Revenons aux arbres. Ceux du verger de tout-à-l’heure, ceux des forêts et de la boucle de vie-mort-vie engendrée par la chute de leurs feuilles en automne qui fait le régal de millions de petits êtres, insectes, bactéries, champignons, qui se chargent de transformer toute cette matière en un humus fertile revenant les nourrir. Les jeunes pousses, les arbres adolescents, les plus vieux. Mais aussi tout autant les châtaigniers, les hêtres, les pins, les arbustes, les végétaux couvre-sol.

Tout ce petit monde s’organise en boucles, se partage des glucides issus de la photosynthèse des plus grands vers les plus petits. Et tout ce petit monde s’associe aussi, par ses racines, avec l’immense réseau de mycélium, ces filaments enfouis dont les champignons que nous mangeons ne sont que les fruits. Celui-ci crée des colonies qui peuvent couvrir des centaines de mètres carrés. Il élabore, avec les végétaux, de véritables symbioses les nourrissant de minéraux et recevant de leur plante-hôte, le glucose vital. Une belle boucle d’échange qui donne lieu à une mutualisation grand format entre l’ensemble de ces êtres vivants. Et cela, sans compter avec la capacité des forêts à agir sur le cycle de l’eau et des pluies par leur système d’évapotranspiration.

Même pas de valse au potager bio : le compost issu de la récupération de « déchets » organiques (épluchures, parties de légumes flétries, tontes, feuilles mortes, …) vient nourrir toute la microbiologie du sol : lombric et autres rampants, bactéries et champignons, encore, qui viennent aérer le sol et distribuer à nos légumes, par le produit de leur digestion, tous les nutriments dont ils ont besoin, … jusqu’à la boucle de nos propres systèmes digestifs.

Il en est de même pour tous les cycles qui fondent le Vivant, appelés cycles « biogéochimiques » au cours desquels se déroulent à la fois des processus biologiques, chimiques et géologiques permettant à l’ensemble des êtres vivants de disposer des éléments nécessaires à leur existence : parmi eux, le cycle du carbone, de l’azote, du phosphore, de l’eau, … Et chacun de ces cycles possède également son rythme propre, entrant en résonance avec les autres, en une valse complexe et millénaire. Comme l’est celle des planètes, rondes, elles aussi.

J’espère que tout ceci ne vous a pas donné le tournis car voilà juste un tout petit fragment de la réalité dans laquelle et par laquelle nous existons, sans vraiment y porter attention.

Du cercle. Du cercle et du cycle partout. Dans les formes du Vivant et dans son mode d’organisation.

A quoi cela peut-il bien lui servir et à quelles contraintes cela le confronte-t-il ?

Suivre une trajectoire en boucle implique de revenir en des endroits déjà visités, de manière répétitive. Si, au passage précédent, vous n’avez pas pris soin de l’espace traversé, vous ne retrouverez que dégradation, voire dévastation à votre retour. La circularité induit le retour. Faste ou néfaste, en fonction de ce qui aura été semé.

Fonctionner en boucle, pour le Vivant l’oblige ou lui permet, c’est selon, de s’autoréguler pour éviter de s’auto-intoxiquer et risquer sa perte. Dans l’espace fini de la biosphère où il s’exprime, il n’a pas d’autres choix. Nous non plus, en fait …

Outre son goût prononcé pour la valse, c’est aussi pour ça qu’il recycle tout ce qu’il utilise, qu’il auto-organise des rotations permanentes de matières sur base d’atomes simples et abondants et des échanges permanents d’informations, qu’il se fonde sur une interconnexion et une interdépendance totale.

Et nous, dans tout ça ? Nous qui avançons tout droit, armés de notre culture rationnelle et linéaire, écrasant les uns et les autres, humains et non-humains sur notre passage, avec la croyance que plus nous avançons, plus nous nous éloignons de nos dégâts. Nous ne comprenons rien à cette culture circulaire. Les boucles de rétroactions nous sont complètement étrangères. Nous les prenons pour des erreurs de l’histoire. Pourtant nos existences individuelles et collectives en regorgent.

Pour Bruno Latour, l’épisode covidien que nous traversons est là pour nous préparer à « un nouveau régime climatique ». Il nous indique que nous allons avoir à concevoir que nous vivons « chez » les virus et non le contraire. Ils sont tellement plus anciens que nous ! Ils étaient parmi les premières manifestations de la vie sur Terre. Et ils réagissent, en boucle, à ce que nous faisons, dans un monde confiné par nature, puisque fini.

Tout tourne rond sur cette Terre, et s’associe. Tout, sauf notre culture cloisonnée, linéaire et compétitive. Changeons-la !

Comment ? C’est la proposition de mon livre « Tout tourne rond sur cette Terre, nous sommes les seuls à l’ignorer – Inspirés du Vivant, des Peuples Racines et de la Permaculture, changeons de culture ». Rendez-vous le 9 mars pour sa sortie !

 

Marine Simon, le 11 février 2021

Pour aller plus loin

Je vous recommande, à voir et à écouter :

Et quelques ouvrages :

  • Jean-Marie Pelt, L’évolution vue par un botaniste, Librairie Arthème Fayard, 2011
  • Stéphane Durand, 20 000 ans ou la grande histoire de la nature, Actes Sud, Mondes Sauvages, 2018
  • Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, Ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent, Les Arènes, 2017
  • David Abram, Comment la terre s’est tue, Pour une écologie des sens, Les empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2013

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